vendredi, mai 17, 2024

Giovanni Boldini, le peintre « possédé par le démon de l’élégance » 

Si Marcel Proust a oeuvré à retranscrire le « muet langage des robes » avec l’écriture et les mots dans À la recherche du Temps perdu, Giovanni Boldini, lui, l’a accompli avec un pinceau. Nous ne parlerons pas, ici, des liens qui se sont tissés entre les deux artistes : le titre de l’exposition du Petit Palais, Les Plaisirs et les Jours, en référence au recueil de poèmes de l’écrivain, signifie déjà, à lui tout seul, que Proust et Boldini se ressemblent à plus d’un titre. Et, parmi ces ressemblances, nous pouvons noter, particulièrement, leur goût pour l’élégance et la mode de leur temps

Fin observateur de la haute société parisienne, et en lien même avec certains de ses membres ( et, parmi eux, Robert de Montesquiou et la Comtesse Greffhule… encore un lien avec Proust !), l’élégance qui caractérise la mode fin de siècle occupe une place de choix dans les tableaux de Giovanni Boldini. À tel point, que le sujet d’origine de l’oeuvre (l’homme, mais surtout, la femme dont on tire le portrait), s’efface au profit du vêtement. Le peintre a même la manie d’allonger et d’étirer le corps, et particulièrement les bras et les mains de ses sujets, pour restituer la beauté et le mouvement du tissu toujours précieux des robes portées par ses modèles. Il défait le corps, pour faire le vêtement. Le tableau, supposé portrait, devient robe. 

Une robe toujours lumineuse, rapidement brossée, parfois accessoirisée et rarement esquissée. L’apparente netteté du buste contraste avec les larges traits du bas du vêtement qui semble alors presque flou mais ceci étant simplement pour mieux suggérer le mouvement. Le dynamisme de la robe du tableau ne révèle en rien les longues et douloureuses heures de pose de la femme se faisant tirer le portrait, par un peintre tyrannique qui plus est. 

Des tableaux qui retracent un pan de l’histoire de la mode 

Il ne révèle pas, non plus, la réelle complexité du costume de la Belle Époque. Chez Boldini, la robe semble même être tout à fait simple, légère, vaporeuse, presque aérienne, alors qu’en réalité, elle est contraignante, excessive, ornementée, accessoirisée, en un mot : compliquée. Malgré tout, les portraits de Giovanni Boldini retracent un pan de l’histoire de la mode. À mesure que le temps passe, les robes des femmes qu’il peint libèrent progressivement le corps et annoncent les grands changements de la mode du début du XXe siècle : le portrait de Cléo de Mérode (1901) anticipe la révolution de Paul Poiret qui « fit chavirer le vaisseau de l’emprisonnement de la femme » en supprimant le corset et prônant une silhouette à la taille haute et droite dans les années 1910 ; l’allure de La Marquise Luisa Casati avec des plumes de paons (1911-1913) n’est pas sans rappeler la fameuse coupe en biais de Madeleine Vionnet

Si les tableaux de Giovanni Boldini sont aussi représentatifs de la mode de leur temps, c’est aussi parce que le peintre lui-même possède des relations étroites avec le monde de la haute couture parisienne. Des grands noms, comme Jacques Doucet, Worth, Paul Poiret, les soeurs Callot, …, l’influençaient grandement. 

Mais, bien au-delà d’être simplement influencé, Boldini devient presque acteur de la mode lui-même. C’est lui qui choisit les tenues de ses modèles, adoptant ainsi le rôle qu’a un styliste de mode aujourd’hui pour une séance photo. Boldini est à l’avant-garde de la mode : il l’observe, l’influence, la décide, à tel point que l’expression « s’habiller à la Boldini » devient, elle aussi, à la mode. 

L’influence boldinienne dans la mode contemporaine 

Une expression qui, semblerait-il, fait toujours écho dans l’univers de la mode contemporaine si l’on en croit les nombreux créateurs qui se sont inspirés des oeuvres du peintre pour certaines de leurs collections. Dries Van Noten, par exemple, a repris l’esthétique de Boldini et, notamment du portrait de Robert de Montesquiou pour sa collection Automne/Hiver 2009-2010. De même, sa collection Automne/Hiver 2016-2017 se base sur l’histoire d’amour entre le poète Gabriele d’Annunzio et Luisa Casati, qui fut elle-même représentée par Boldini plus d’une fois. 

Pour sa collection Automne/Hiver 2013-2014 intitulée Life is movement, Alexis Mabille s’inspire du mouvement caractéristique des oeuvres du peintre pour ses silhouettes, ajoutant drapés, volants, satin, tulle, … pour intensifier cette impression. Couturier, Mabille devient ainsi peintre le temps d’une collection, se mettant presque dans la peau de Boldini pour ajouter des touches de peinture à la main sur des pantalons en satin et sur les manches des chemisiers. Alexis Mabille souhaitait ainsi retranscrire l’idée d’un « passé moderne » ou, en d’autres termes, appliquer l’époque d’un Boldini à la mode contemporaine. 

Mais John Galliano est sans aucun doute le couturier qui a le mieux donné corps aux oeuvres de Boldini. Avec le couturier, les robes peintes par l’artiste semblent totalement sortir des tableaux de celui-ci. Pour la collection Dior Couture Automne/Hiver 2005-2006, la robe Madeleine (du nom de la mère de Christian Dior) est une référence plus qu’évidente au portrait de Madame Charles Max : la délicatesse des teintes, le dégagement des épaules, la taille resserrée, l’élégance, … Le tableau de Boldini semble réellement avoir pris vie. Pour la collection Dior intitulée Bal des artistes (Couture A/H 2007-2008) rendant hommage à 45 figures importants de l’art et en référence aux inspirations de Christian Dior, impossible de passer à côté de certaines silhouettes « à la Boldini ». La Marchesa Luisa Casati (l’oeuvre préférée de Galliano) et Betty Wertheimer semblent ressusciter sur le podium du défilé, telles des chimères. Les robes des tableaux évoluent dans l’espace, leur mouvement et leur élégance plus que jamais visibles dans la réalité. John Galliano ne s’est pas contenté de s’inspirer ici et là des portraits de Giovanni Boldini : il les a transposés, leur a donné l’opportunité de se mouvoir, d’occuper l’espace le temps d’un défilé. De peinture, ils deviennent couture. 

Surtout, John Galliano, comme les autres couturiers, ont exprimé une chose essentielle, allant plus loin que la simple inspiration : le souvenir. À travers ces références, ils ont permis à tous.tes de se souvenir de l’esthétique incomparable de Giovanni Boldini, de son influence, de son pouvoir même et, surtout, de son sens inné de l’élégance et de l’art. Et c’est également ce pourquoi l’exposition au Petit Palais est si importante : elle nous permet de nous souvenir de la façon dont Giovanni Boldini, peintre atypique et empreint de modernité, a marqué de son aura l’histoire de l’art et l’histoire de la mode. 


Vous pouvez retrouver toutes les informations de l’exposition ici.

Article en collaboration avec Minutars.

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