Intriguée par ce nom que le monde de la danse (et pas que…) ne cesse de répéter, j’assistais à mes premiers spectacles de La Horde l’été dernier : To Da Bone, d’abord, explorant sur scène les communautés et styles de danse créés autour du mouvement Hardstyle; puis Roommates, spectacle imaginé comme un tableau en six actes, chacun d’entre eux explorant des écritures chorégraphiques différentes. Je ne tardais pas à prendre mon billet pour pouvoir assister au spectacle le plus attendu de la rentrée : Room With A View, avec l’excellent Rone aux platines.
Lors de la lourdeur du premier confinement, je me souviens avoir zappé les chaines télévisées, à la recherche d’un possible échappatoire : je tombais alors sur une rediffusion du spectacle qui avait dû stopper subitement ses représentations au Théâtre du Châtelet en raison de la pandémie. Déjà, je restais scotchée devant mon écran. Mais cela ne représentait que peu les émotions ressenties en assistant au spectacle en live. Et le fait que je sois placée presque sous les combles du Théâtre (les dates des deux semaines de représentation affichant rapidement complet) n’y a absolument rien enlevé. Room With A View est d’une puissance telle qu’il m’a semblé vivre un moment hors du temps, un moment où l’on a décidément pas envie de sortir et qu’on tente tant bien que mal de prolonger avec l’écoute de l’album éponyme de Rone.
![Room With A View - La Horde x Rone - @Cyril Moreau](https://lebolero.fr/wp-content/uploads/2022/11/photo_5_bis.jpeg)
Je ne pense pas qu’il serait exagéré de dire que La Horde domine, ou en tout cas, a gagné la scène de la danse parisienne. Les dizaines et dizaines de personnes qui se retrouvent à piétiner pour se frayer un chemin à Chaillot, Théâtre National de la Danse, me semblent en tout cas confirmer cela. Je n’avais absolument rien lu sur We Should Have Never Walked On The Moon avant de m’y rendre le 27 octobre dernier. J’ai réservé sans réfléchir. L’effet de surprise était donc garanti. Pensée naïve de ma part, j’ai d’abord imaginé qu’il s’agissait d’un simple nouveau spectacle sur scène. Sauf que les spectacles de La Horde sont rarement de simples spectacles de danse. Ils trouvent toujours le moyen de nous étonner, voire même de nous déstabiliser.
C’est donc un Chaillot métamorphosé que le public découvre. À commencer par son sublime grand escalier, qui est recouvert d’un tapis rouge, à la manière des plus grandes cérémonies de cinéma. Sauf que le bout de ce tapis est brûlé, cendré. En descendant l’escalier, peut-être que certain.e.s d’entre nous se feront surprendre par une homme réalisant une chute monumentale dans les marches de l’escalier, avant d’être rattrapé par les agents de sécurité du Théâtre. Cette reprise de la cascade hommage à Jean-Paul Belmondo qui a fait grand bruit au Festival de Cannes en 2011 donne immédiatement le ton de l’expérience immersive dans laquelle La Horde nous invite à entrer : We Should Have Never Walked On The Moon reprend indirectement les codes du cinéma d’Hollywood, et fait appel au corps en mouvement pour mieux les explorer, mieux les apprivoiser, mais surtout, pour mieux les déconstruire.
Cette nouvelle performance de La Horde incite le spectateur à déambuler dans les différents espaces de Chaillot pour y découvrir les différentes pièces, chorégraphiques, audiovisuelles ou performatives de la compagnie de danse. Le spectateur devient ainsi acteur du spectacle auquel il est venu assister : il en construit le déroulé lui-même, sans pouvoir toujours tout maitriser pour autant car certaines performances ont lieu aléatoirement.
Une limousine taguée trône au centre du Foyer de la Danse. Autour d’elle, certains, immobiles, semblent l’embrasser, une femme est allongée sur son toit, une autre conduit une lessiveuse de sol tout autour. Nous sommes tous et toutes là, à attendre que quelque chose de plus se passe. Une agente du théâtre nous invite à franchir la ligne de démarcation pour s’approcher de la limousine. Personne n’ose. Nous ne sommes que des voyeurs.
Dans la salle Firmin Gémier, trois tableaux se succèdent : Low Rider et Weather is Sweet (La Horde), et Concerto (Lucinda Childs). Les deux chorégraphies imaginées par La Horde sont pleines de désir et de mouvements sensuels et sexuels. Des sourires un peu gênés se dessinent parfois sur les visages mais tout le monde regarde, puis applaudit. La Horde nous met face au corps, à notre corps, à son mouvement, ses sensations, ses émotions. Low Rider nous montre à quel point la machine, la technologie, peut venir contraindre et presque contrôler ce corps et ces mouvements.
![Weather Is Sweet - La Horde - @Théo Giacometti](https://lebolero.fr/wp-content/uploads/2022/11/2_weather_is_sweet_ctheo_giacometti.jpeg)
Lors de notre déambulation, nous croisons de temps en temps des danseurs, presque simples figurants, qui marchent, le regard perçant, presque effrayant. Qui sommes-nous réellement, nous, spectateurs, au milieu de tout cela ? Nous avons presque l’impression de participer à une grande pièce de théâtre dans ce Théâtre National de la Danse. Avec Cultes, nous nous retrouvons assis sur scène, face à un écran géant installé au milieu des sièges rouges de la grande salle. Il y a renversement : des gradins, nous nous retrouvons nous-mêmes sur la scène.
We Should Have Never Walked On The Moon reprend les différentes prestations de La Horde et nous invite à les (re)découvrir. La frustration gagnera cependant celles et ceux qui ne pourront pas accéder à toutes les performances, du fait de la très grande concentration de spectateurs à Chaillot. Ces derniers ne sont pas si libres que ça dans la construction de leur soirée. De même, les adeptes de la compagnie n’y découvriront pas grand chose de neuf : c’est simplement un mix de toutes les réalisations que La Horde a pu faire jusqu’ici. Mais cet entrelacement des chorégraphies, performances, la rencontre de tous ces corps nous donne l’impression d’atterrir sur une nouvelle planète. Une planète sur laquelle le mouvement représente une écriture à lui tout seul. Le mouvement parle, il nous montre et nous raconte des choses. We Should Have Never Walked On The Moon est une expérience, une performance, une histoire. Une histoire dans laquelle le corps en mouvement a tout à nous dire et à nous apprendre.