mardi, février 11, 2025

La série télévisée : une vitrine pour la mode ?

Il y a certaines séries qui sont des phénomènes tels qu’elles viennent doucement s’immiscer dans notre vie quotidienne. Et je ne parle pas ici de binge-watching1. Mais plutôt de l’influence considérable qu’elles peuvent avoir, outrepassant ainsi leur dimension fictionnelle pour venir côtoyer la réalité. L’univers de la série s’étend alors, sortant de nos écrans pour venir s’installer sur nos murs (tableaux, posters), nos fonds d’écrans, nos bibliothèques (livres), … Bref, faisant partie intégrante de nos vies, pour un temps, venant même parfois, nous coller à la peau. Littéralement. 

Car oui, la série va même jusqu’à se faufiler dans nos armoires, influant nos pratiques vestimentaires et définissant des « styles » qui deviennent des références de mode à part entière. On pense, bien sûr, à Sex and the City ou Gossip Girl, séries dans lesquelles les vêtements et l’engouement qu’il y a autour sont presque centraux. Mais aussi à Mad Men, qui a remis les années 50 au goût du jour. Plus récemment, les tenues de Elisabeth Harmon dans The Queen’s Gambit ont fait sensation. Et, bien sûr, on ne peut pas passer à côté des costumes de Peaky Blinders qui ont eu un certain impact du côté des tendances masculines.

On l’aura compris: la série télévisée a une réelle influence sur le phénomène de mode. Et cette influence n’a fait que s’accroitre avec les récents confinements. Priya Elan, journaliste pour The Guardian, le souligne: avec les restrictions liées au Covid, on a plus côtoyé des personnages de série que nos ami.e.s et notre famille. Rien de surprenant, donc, que la plupart d’entre nous se soient identifié.e.s à eux et à leur manière de s’habiller2

« Fracture », la nouvelle série signée Balmain

C’est un fait qui n’a pas échappé à Olivier Rousteing, directeur artistique de Balmain. Réputé pour son incroyable créativité, doublée d’un esprit visionnaire, il a, à nouveau, frappé fort en créant Fracture, une série dramatique en 5 épisodes, en collaboration avec la chaine britannique Channel 4. Si elle est destinée à être diffusée sur petit écran, on note que les moyens mis à contribution sont dignes d’un film de cinéma. Le casting, notamment, rassemble la chanteuse Jesse Jo Stark, l’actrice Tommy Dorfman (aperçue dans 13 Reasons Why), l’acteur Charles Melton (connu pour son rôle dans la série Riverdale) et la comédienne Ajani Russell.

Mais la grande particularité de cette série, ce sont les « costumes »: il s’agit de la collection Balmain Automne/Hiver 2021, actuellement commercialisée. Sur le site de la marque, il y a même la possibilité de regarder la série et d’acheter immédiatement les looks portés par chacun des personnages. Sous couvert d’un scénario empruntant quelque peu les codes du teen movie, c’est le vêtement qui est en fait mis en avant, devenant ainsi le personnage principal de la série. Olivier Rousteing va bien au-delà du défilé ou de la simple publicité. La marque s’introduit plus que jamais dans l’univers de l’audiovisuel. Si l’intrigue est un peu kitsch, ce sont surtout l’esthétique, les couleurs, les plans que l’on retient de Fracture.

En fait, le directeur artistique de Balmain a vu juste (encore): c’est à travers l’audiovisuel, et plus particulièrement le cinéma, que le vêtement peut le mieux être magnifié et admiré. On le voit bouger, être enfilé, retiré, … On le voit véritablement vivre. C’est une autre manière de l’aborder. Quelque part, avec la série, une nouvelle relation de proximité est créée entre le spectateur et le vêtement. On s’identifie plus facilement à un personnage de série qu’à un.e mannequin de défilé ou de magazine. Un autre niveau d’influence est atteint. 

La série: une nouvelle stratégie d’influence ?

Toutefois, si on peut saluer la créativité et l’esthétisme propres à Fracture, ne doit-on pas craindre tout cela ? Car si la série est divertissante, elle constitue tout de même, avant tout, un nouveau coup de communication. On connait tous le placement de produit glissé discrètement (ou non) à un certain moment d’un film. Mais ici, le produit est partout. Et c’est un phénomène qui ne fait que commencer. Si Balmain est la première marque à créer sa propre série télévisée, d’autres se sont associées à des séries déjà connues: le site internet Net-a-porter est particulièrement présent dans la nouvelle version de Gossip Girl et la marque de chaussures Malone Souliers rejoint la série La Chronique des Bridgerton pour une collection début 2022.

Si la mode venait alimenter et embellir la série jusque-là, ne va-t-elle pas l’envahir totalement, transformant nos épisodes en stratégies d’influence et publicités de 40 minutes ? Pour la sociologue britannique Angela McRobbie, c’est la prochaine étape: bientôt, il sera possible de commander un vêtement d’une série tout en regardant celle-ci, avec la possibilité d’être livré.e en moins de 24 heures3

Malgré tout cela, nous pouvons tout de même apprécier les innovations artistiques et créatives que la mode a su mobiliser durant la pandémie. Avec le digital, et notamment les « défilmés », elle s’est davantage rapprochée du  public. Il y a quelques années, on ne s’imaginait pas avoir accès à tous les défilés en direct, comme si on y était, ni que certains d’entre eux auraient lieu sur les ailes d’un avion (Balmain Automne/Hiver 2021) ou avec des marionnettes à la place des mannequins et invité.e.s (Moschino Printemps/Été 2021). Encore moins qu’une marque aurait sa propre série. Finalement, tout est possible, il n’y a pas de limites. Alors, sachant cela, que peut-on imaginer ensuite ?


1. « Pratique qui consiste à regarder la télévision ou tout autre écran pendant de plus longues périodes de temps que d’habitude, le plus souvent en visionnant à la suite les épisodes d’une même série. » (Wikipédia)

2. « For more than a year, TV has been one of our main sources of entertainment. We have seen some characters more than our own family and friends. So it is hardly surprising that as Covid restrictions end and we re-enter the world, we want to dress like them. » Priya Elan, Britons turn to TV shows for lockdown fashion inspiration, The Guardian, 20 août 2021.

3. « [It’s] clearly the next step. Emulating the models set up by companies like Farfetch and Net-a-Porter, logistical labour will deliver a dress, a bag or jacket from Call My Agent! – ordered while watching, to your doorstep in less than 24 hours. » Angela McRobbie, propos cités dans l’article Britons turn to TV shows for lockdown fashion inspiration, Priya Elan, The Guardian, 20 août 2021.

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