mardi, février 11, 2025

Nightmare Alley : comme un air de film

Une drôle d’impression m’emporte alors que comme de nombreux « cinéphiles », je me retrouve à suivre la première cérémonie des Oscars tournée en direct depuis 2 ans au Dolby Theatre à Hollywood (Los Angeles) le 27 mars dernier. Ne nous arrêtons pas sur la performance XXL de Sir Will Smith. Cette étonnante interprétation de l’homme à claque lui aura déjà valu tant d’éloges. Banni 10 ans des Oscars, oscar du meilleur acteur. La star du soir n’est plus à présenter et repart de toute façon l’armoire bien pleine.

Elle en éclipserait même les longs-métrages pour ne se concentrer que sur les individualités. Et pourtant parmi tous.tes les oublié.es de la soirée, certain.es parviennent à faire encore plus fort. Ils se découvrent même le pouvoir d’invisibilité, on ne sait plus réellement à quoi ils ressemblent, de quoi ils parlent, s’ils parlent bien de quelque chose… Pire encore, on en oublierait même, dans le cas de notre cible primée, que son casting comprend certain.es ancien.nes lauréat.es très prestigieuses et prestigieux. Acteurs, actrices ou réalisateur tenant la barre, je ne peux qu’admettre la triste réalité : je me retrouve bel et bien à croire aux mythes et fantômes à bientôt 25 ans.

Je vous donne dans le mille, nous faisons ici écho au dernier né des monstres de Guillermo Del Toro, Nightmare Alley. Cinéaste dont il est impossible d’approcher la filmographie sans partir dans une énumération sans fin d’œuvres plus réussies les unes que les autres. Son dernier bébé n’a pourtant pas eu le droit au même traitement de faveur comparativement à ses ainés. Comparé surtout, à The Shape of Water, acclamé et surtout oscarisé il y a bientôt 5 ans de cela, l’écart en est presque grossier. Une réception critique, à l’époque, qui finirait de parachever la carrière de son réalisateur, ainsi définitivement reconnue à sa juste valeur malgré ses aires fantasques et je dirais même, fantasmagoriques. 

nightmare alley
Photo : Kerry Hayes

Une année charnière qui n’épargne personne

On avait quitté Del toro sur son accession au rang d’auteur classique à une époque où il sentait bon de se déplacer dans les salles obscures. Première raison évidente du bide qu’il représente, le contexte de sortie, une période de transition pour les marchands de salle, la faute à une pandémie qui nous fit perdre certaines de nos bonnes habitudes. La faute aussi à l’obligation de porter le masque à l’intérieur des salles et la faute aussi, certainement, à une communication lacunaire pour un projet qui n’apportait pas les garanties que représente le rôle de sauveur du cinéma popcorn.

Ce schéma n’est pas spécifique à Del Toro et à la filiale de Disney, Searchlight Pictures. L’échec du West Side Story de Spielberg (et des 20th Century Studios) pour un film aux attentes comparables est un autre exemple de plantage hollywoodien probablement lié à ce contexte fragile. Les studios ne peuvent plus entièrement se reposer sur leurs maîtres à tout faire.

Si l’on se focalise uniquement sur le box-office, le microcosme que représente Marvel semble être le seul à ne pas avoir perdu de sa folie au vu des derniers chiffres affichés par le troisième Spiderman, seul blockbuster à avoir explosé la barre du milliard de recettes au box-office mondial. Loin devant la réussite critique insuffisante de The Batman ou de l’ultime James Bond estampillé Daniel Craig dont les recettes restent dans les deux cas, inférieures à 800 millions de dollars. Les retours ou les adieux ne suffirent à attirer les foules d’antan.

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Photo : Kerry Hayes

Une ambiance peu adaptée au cinéphile moyen meurtrie par la pandémie

Alors vous imaginez…A coté de ça, Del Toro qui nous parle de Freak Show, de la noirceur de l’homme dans un thriller contemporain prenant des allures d’exercice de style, pour une durée importante de 2h30…Vous voyez venir la suite. L’échec fut total malgré, une fois n’est pas coutume, une très bonne réception critique. Mais vous connaissez le problème avec la bonne reconnaissance, c’est qu’on vous paye à la visibilité et qu’en conséquence, on vous paye peu ou pas du tout. 

À noter aussi que Nightmare Alley est un remake. Adapté d’un roman de William Lindsay Gresham, adapté lui-même une première fois en 1947 par Edmund Goulding avec Tyrone Power dans le rôle principal alors que le long métrage adoptait le nom de Le charlatant en France. Titre plus qu’évocateur du rôle de son personnage central qui revient dans l’édition de 2022 à Bradley Cooper, entouré d’un casting alléchant composé entre autres de Cate Blanchett, Rooney Mara, Willem Dafoe, ou encore Toni Collette. Rien d’extraordinaire en somme me direz-vous.

Pour vous résumer brièvement l’intrigue du film : Mr Stanton devient forain un peu malgré lui et se découvre une passion pour les tours de passe-passe jusqu’à atteindre le point de non-retour :  se prétendre mentaliste dans le cadre de ses spectacles truqués. En plein dans les années 1930-1940 aux Etats-Unis, du plus minable des Freaks show en pleine cambrousse jusqu’aux épileptiques skyscrapers de New York, son insolente ascension le poussera évidemment trop loin pour ne pas y perdre gros en contrepartie de ses actes. 

Le film raconte l’histoire d’une chute comme on en a déjà vu une pléthore depuis l’âge d’or du cinéma hollywoodien, période à laquelle se déroule l’histoire de Nightmare Alley. 

Globalement, c’est une structure en deux actes qui se manifeste à nous. Une première partie plutôt marquée par l’introduction d’un cirque, de ses personnages haut en couleur, de ses déviances et donc de l’intégration de Mr Stanton au sein de cet univers finalement plutôt attachant malgré les dessous du business un tantinet plus creepy.

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Photo : Kerry Hayes

Par la suite, l’intrigue se déplace aux côtés de son protagoniste pour rejoindre la côte atlantique new yorkaise. Bienvenue dans l’East Coast et ses beaux costumes. On quitte le visuel tâché de terre pour celui de sang. Étonnamment ou non, la violence se fait plus insistante dès lors que l’on rejoint the Big City et ses déboires. C’est à partir de là que l’exercice de style prend de l’éclat. La première partie servant finalement de faire valoir au cinéma de Del Toro. Une introduction acquise à sa cause alors que le cœur de son intrigue décadente prend un malin plaisir à se costumer, se parfumer.

La parure est là comme pour nous tromper, cet aspect du film en est même personnifié, sous les traits du personnage interprété par Cate Blanchett, Lilith Ritter, qui frôle constamment le surjeu et l’embrasse entièrement par moment quand il lui faut assumer le rôle de femme fatale. Une pointe de kitsch haut de gamme au contraire de la douce Molly, jouée par la mélancolique (et sublime) Ronney Mara. Les deux femmes ne rentrent jamais directement en conflit mais leurs visions sont, elles, bien confrontées. Elles symbolisent aussi cette dualité du film, entre ses actes, ses décors et son ton. Nous les avions connus amantes dans Carol. Cette fois, c’est par l’intermédiaire de Mr Stanton, qu’elles se font face. L’une lui donnant accès à son ascension, l’autre lui servant de véritable point de chute.

La chute, parlons-en, celle que nous ne pouvons sortir de notre tête dès lors que les règles son transgressées les unes après les autres. Les barrières tombent à mesure que les séances de psychanalyse entre Stanton Carlisle et Lilith Ritter s’enchainent et perdent de leur professionnalisme. Le personnage tombe et l’homme primitif ressort pour de bon. Les instincts primaires prennent le dessus comme pour signifier un retour en arrière vers les premières minutes du film, vers la cambrousse des débuts. L’appât du gain et la soif de pouvoir ne font plus que référence à leur fonction d’origine : boire et manger. S’en suit logiquement l’instinct de survie qui touche ici à une forme de pathétisme sociale que l’on n’arrête plus d’assimiler au rêve américain. Morale ou coup au moral, reste que cette fin vous laissera comme un léger sourire au visage.

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Searchlight Pictures/Courtesy

Pour en savoir plus sur la création des costumes du film, lisez l’article de Keaton Bell pour Vogue et/ou de Raquel Laneri pour le NY Post.

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